L'apparence des femmes et leur accès au marché de l'emploi
Elles s’appellent Beatrix Yavuz, Kaat Bollen ou Ihsane Haouach. Elles ont pour point commun d’être des femmes, et d’avoir été jugées à cause de l’apparence physique qu’elles ont choisi d’afficher dans l’espace public. Dans une tribune pour De Standaard, Meron Knikman, présidente du Conseil flamand des femmes (Vrouwenraad), nous rappelle que la société n’a pas le droit de s’approprier le corps des femmes à leur place, et que le faire constitue une injustice supplémentaire à leur égard.
Après que son directeur d’école a envoyé un email aux filles de son établissement pour les inviter à porter des tenues plus « appropriées » (ni ventres nus, ni shorts courts), Beatrix Yavuz, 14 ans, a décidé de lui répondre en lui demandant d’exiger la même chose de ses collègues garçons pour des raisons d’équité. « Vivons-nous encore au Moyen âge ? », s’indigne-t-elle. On se souvient également de l’affaire Kaat Bollen, où la sexologue a reçu un avertissement de la part de la Commission des psychologues pour avoir porté un corset et publié des photos d’elle jugées trop « sexy »… Alors qu’elle l’avait fait en-dehors du cadre de son travail, dans sa vie privée ! Dans le même registre (mais pour des raisons différentes), la nomination d’Ihsane Haouach en tant que commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes a provoqué de vives réactions de la part du MR et en particulier de Georges-Louis Bouchez, car cette femme porte un voile alors que c’est « totalement contraire au principe de neutralité de l’Etat » selon les mots du président libéral.
L’apparence, un facteur de discrimination supplémentaire vis-à-vis des femmes
Pour Meron Knikman, présidente du Conseil flamand des femmes (Vrouwenraad), toutes ces femmes ont en commun d’avoir été jugées en raison de leur esthétique et des vêtements qu’elles choisissaient d’afficher dans leur espace de travail ou dans leur vie privée. « Notre société continue de juger une femme à l’aune de son allure plutôt que sur ses capacités. », écrit-elle. Les vêtements, et le « look » de manière générale, sont autant de signes sociaux qui sont inévitablement jugés et évalués par tout un chacun. Ils permettent de renseigner l’observateur sur la richesse, le goût ou l’affiliation identitaire de son interlocuteur. Jusque-là il s’agit d’un comportement humain tout à fait normal. Là où le bât blesse, c’est que les critères de ce jugement sont le plus souvent culturels, et qu’à notre époque ils nous amènent à juger plus strictement de l’apparence d’une femme qu’on ne le ferait d’un homme. Les femmes sont encore - plus que les hommes - soumises au regard impersonnel des jugements sociaux, cette inégalité se répercutant ensuite dans de nombreux domaines, comme celui de l'opportunité d’accès à l’emploi ou de l’avancement dans une carrière, par exemple.
Au-delà de n'être qu'une simple question vestimentaire, cependant, c’est l’apparence d'une personne en général qui est un facteur de discrimination. Lors d’un entretien d’embauche, nous ne sommes pas jugés que pour ce que l’on porte : notre taille, notre poids, notre beauté relative ou encore notre odeur seront autant de facteurs qui joueront ou non en notre (dé)faveur, et qui viendront s’accumuler aux autres biais liés au genre, à l’origine socioéconomique, à l’orientation sexuelle, etc., par un effet multiplicateur. Une étude du Défenseur des droits et de l’organisation internationale du travail (OIT), qui a interrogé 998 demandeurs d’emplois âgés de 18 à 65 ans, relève que les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à avoir déclaré avoir été victime de discrimination à l’embauche en raison de leur apparence extérieure. Toujours selon la même étude, les femmes obèses reportent huit fois plus que les autres avoir été discriminées en raison de leur condition physique. Et la chercheuse Hélène Garner-Moyer a montré que, à expériences et compétences égales, le CV d’une jeune femme dont la photo est jugée séduisante sera plus souvent sélectionné qu’un autre, y compris pour un poste de comptabilité qui ne nécessite pas d’interaction avec la clientèle. Souvent voilée par les autres facteurs de discrimination, la discrimination physique à l’emploi fait partie de ces mécanismes méconnus qui concourent à perpétuer l’oppression sociale dont le corps des femmes continue d'être l’objet.