« Territoires zéro non-recours », un nouveau dispositif de lutte contre le non-recours aux minimas sociaux

Lundi, 14 Août 2023

Le phénomène de non-recours aux minimas sociaux est important en Europe. En France, 34% des personnes pouvant bénéficier du revenu de solidarité active (RSA) n’en bénéficie pas. C’est face à ce constat que le dispositif « Territoires zéro non-recours » va être expérimenté dans la ville de Rennes à partir de 2024, afin de lutter contre le non-recours aux prestations sociales. 

Qu'est-ce que le non-recours aux droits sociaux ? 

Dans son ouvrage "Agir contre le non-recours aux droits sociaux", le politologue français et directeur de recherche au CRNS (Centre national de recherche scientifique) Philippe Warin, définit le terme "non-recours" (non-take up, en anglais) comme un phénomène amenant des personnes à ne pas utiliser une série de services ou de prestations qui peuvent leur être rendus. Les non-recourant·es sont celleux qui ne bénéficient pas de ces prestations ou services alors qu’iels sont les destinataires des politiques publiques.

Ses causes sont plurielles :

  •  la non-connaissance :  avec des personnes qui ne connaissent pas l’existence ou leur droit à l'une ou l'autre prestation sociale et ne formule ainsi pas de demande
  •  la non-proposition : la personne représentant l’accès aux droits ne propose pas l’offre aux destinataires de la politique publique.
  •  la non-réception : c’est la situation d'une personne qui formule une demande de droit, mais ne le reçoit pas de l’institution qui donne l’accès à ce droit.
  •  la non-demande : cette forme de non-recours se produit lorsque des personnes ont connaissance de l’offre, mais ne la demandent pas. Cela peut s'expliquer par la compléxité (perçue ou réelle) des démarches administratives, la crainte des conséquences négatives (contrôle, perte de droits…) ou encore par une volonté d’autonomie et un refus d’assistance

L’actualité en France 

Trente-neuf communes ont été retenues début juillet par le Ministère des Solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées en France pour expérimenter un dispositif de non-recours. En effet, le non-recours peut avoir des conséquences sociales importantes et entraîner ou enfermer les personnes dans une situation de grande précarité

Pour la mairie de Rennes, le choix du quartier de Maurepas n’a pas été fait au hasard. Elle indique qu' « on y observe un cumul de difficultés d'accès aux droits aux niveaux social (méconnaissance des dispositifs et des acteurs sociaux), numérique (éloignement du numérique de nombreux habitants) et culturel (crainte d'être stigmatisé, difficultés de compréhension des termes administratifs, illettrisme, etc.) ».

La quantification et l’identification des causes du non-recours sont donc des enjeux majeurs pour la lutte contre la pauvreté.

    Qu’en est-il dans les autres pays européens ? 

    Selon une étude comparative avec 5 pays européens (Allemagne, Belgique, Finlande, Pays-Bas et Royaume-Uni), le phénomène de non-recours aux systèmes de solidarité (minima sociaux, aides sociales diverses) s’observe également dans d’autres pays d’Europe qui disposent d’un système de solidarité répondant aux mêmes principes de solidarité.

    Même si l’étude souligne que la comparaison du non-recours peut s’avérer compliquée, car les pays appliquent des critères d’éligibilité spécifiques pour l’accès aux revenus de solidarité, des problématiques communes ont émergé lors des débats sur la réforme des systèmes de protection sociale :

    •  Le besoin de simplification de l’accès aux prestations de solidarité
    •  Le besoin de dématérialisation des démarches administratives
    •  Le besoin d’amélioration de la lisibilité du système de protection sociale (avec la fusion des prestations). 

    Pour faciliter la comparaison, l’estimation du non-recours a été cadrée essentiellement dans le champ de la pauvreté au travers l’accès au revenu minimum de solidarité. On constate un phénomène à la fois d’ampleur et durable dans les cinq pays, à l’aide des données les plus récentes pour chacun :

    • l’Allemagne est entre 35% et 56% de non-recours au revenu minimum (données 2014)
    • la Belgique à 62% (données 2005)
    • la Finlande à 29% (données 2017)
    • le Royaume-Uni passe de 44% sur les données de 2016 à 10% sur 2019
    • et la France est à 34% (données 2018). 

    Afin d’identifier plus qualitativement les non-recours et leurs causes, l’étude préconise d’élargir le champ d’investigation des estimations du non-recours (montants non dépensés, non-recours cumulatifs, profil des personnes concernées, etc.), de développer des approches territoriales et locales (comme à Rennes), d’intégrer d’autres acteur·rice·s dans la production de données et de développer quantitativement et qualitativement les approches économiques et sociologiques pour mieux déterminer les causes du non-recours.

    L’actualité en Belgique

    Au mois de février 2023, la Belgique comptait 156 897 bénéficiaires du revenu d’intégration, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans, mais un peu moins que durant la crise Covid (160 000). En 2003, 0,7 % de la population belge vivait du revenu d’intégration, contre 1,34 % aujourd’hui. Cette augmentation, malgré le nombre important de non-recours comme vu précédemment, témoigne de la situation de précarité dans laquelle résident de plus en plus de personnes éloignées de l’emploi. 46% des bénéficiaires vivent en Wallonie, tandis que 29% résident à Bruxelles et 25% en Flandre. Les réfugié·e·s reconnu·e·s ou protégé·e·s subsidiaires représentent 15,1% du nombre total.