La Hongrie réduit (encore) les droits de la communauté LGBTQI+ en vue des élections de 2022
Les parlementaires hongrois ont voté un amendement visant à bannir la « promotion » de contenus concernant l’homosexualité ou les questions de genre à destination des mineurs, sous couvert de lutte contre la pédophilie. Ce vote intervient dans un contexte déjà tendu pour la communauté LGBTQI+ hongroise, qui a vu ses droits se réduire comme peau de chagrin ces dernières années. Les élections parlementaires prévues en 2022, où la coalition d’opposition fait jeu égal avec le parti au pouvoir, le Fidesz, dans les sondages, pousse Viktor Orbán à se poser en tant que « défenseur des valeurs chrétiennes ».
Ce mardi 15 juin 2021, le Parlement hongrois dominé par le parti au pouvoir Fidesz (extrême-droite) a voté un amendement visant à « protéger les droits des enfants ». « La pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l’identité de genre, le changement de sexe et l’homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans », peut-on lire dans ce document. Concrètement, cette loi affecterait des secteurs entiers de l’industrie culturelle, artistique, pédagogique et associative. Des publicités comme celle de Coca-Cola (qui met en scène un couple homosexuel) seraient interdites, tout comme certains livres pour enfants, certaines séries (on pense à Friends par exemple) ou films (Bridget Jones) ne pourraient plus être diffusés vers des mineurs. De même, certains programmes éducatifs délivrés par des associations pour éveiller les consciences aux problématiques LGBTQI+ ne pourront plus être présents dans les écoles.
Plus pernicieusement, cette loi compliquerait également l’organisation d’événements comme la Gay Pride. Comment contrôler l’accès à ce genre de rassemblements publics pour être certains que des mineurs ne seront pas présents ? Bien que ce cas ne soit pas explicitement mentionné dans le texte de loi, ses contours flous et son contenu vague rendent possible ce genre de dérives.
La communauté LGBTQI+ hongroise prise en otage par le jeu politique national
Alors que le pays était l’un des plus progressistes de la région dans ces matières, ayant dépénalisé l’homosexualité dès le début des années 60 et ayant reconnu l’union civile de conjoints du même sexe en 1996, l’arrivée de Viktor Orbán au pouvoir a mis un coup d’arrêt à la progression de la cause et a provoqué une régression générale des droits pour cette communauté. Dernière opération en date : en décembre 2020 l’adoption d’enfants par des couples homosexuels a été de facto interdite, lorsqu’un changement de la Charte fondamentale du pays a décrit la famille comme étant une union où « le père est un homme, la mère une femme ». Les manifestations fréquentes de l’opposition et les rappels à l’ordre de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe ne suffisent pas à inverser cette tendance. Ainsi, même si 10.000 hongrois se sont rassemblés à Budapest ce lundi 14 juin pour empêcher la loi d’être votée, la comparant à la loi russe de propagande anti-LGBTQI+ de 2013, et malgré les appels de la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, les Parlementaires ont tout de même adopté l’amendement.
Tomás Dombas, l’un des organisateurs et leaders de Háttér Society, la plus grande organisation de protection des droits LGBTQI+ de Hongrie, explique que ce vote intervient dans un contexte électoral tendu. Les prochaines élections parlementaires, qui devraient avoir lieu au printemps 2022, voient s’affronter le parti de Viktor Orbá, le Fidesz, et une coalition des principaux partis d’opposition. Ils sont au coude-à-coude dans les sondages actuels. Ce nouvel amendement permet au Premier ministre de fragiliser la solidité de la coalition qu’il aura à affronter, puisque le parti d’extrême-droite Jobbik, qui en fait partie, l’a tout de même soutenu au Parlement, créant des frictions dans l’opposition. Amalgamer lutte contre la pédophilie et communauté LGBTQI+ représente également l’avantage d’amener le débat politique sur un nouveau terrain, où le « défenseur des valeurs chrétiennes » pourra plus facilement réunir sa base électorale, à l’heure où les questions d’immigration sont en perte de vitesse. Enfin, cela permet également à Orbán de faire un pied de nez à l’Union européenne et à marquer son indépendance vis-à-vis de celle-ci.
La Commission européenne rechigne à réagir malgré les appels du Parlement
L’adoption de ce nouvel amendement va à l’encontre des valeurs défendues par les traités européens, et vient s’ajouter à la très étendue liste des provocations hongroises vis-à-vis du modèle politique défendu par l’Union. En janvier 2021, pourtant, l’Union s’était accordée pour disposer d’un nouvel outil de protection des valeurs démocratiques et libérales dans ses pays-membres : la conditionnalité des aides financières européennes au respect de l’état de droit et des valeurs communes. Mais la Commission rechigne à employer ce nouveau levier, au point où le Parlement, le 9 juin 2021, a renouvelé ses mises en garde contre l’exécutif et l’a menacé d’une action en justice si elle continuait à faire la sourde oreille. Quoi qu’il en soit, la faible volonté politique de l’Union fait le jeu d’Orbán, qui peut ainsi continuer à profiter de son inaction pour faire avancer son propre agenda politique, au détriment des minorités oppressées de son pays.