"Femme, vie, liberté" au Rojava

Mercredi, 21 Février 2018

Après le soulèvement syrien qui s’est transformé en une guerre massive, le pays est divisé entre plusieurs belligérants qui luttent pour leurs profits dans la région. Depuis 2012, la majorité du Kurdistan syrien est contrôlé par des milices kurdes. Le 17 mars 2016, les Kurdes de Syrie ont proclamé une entité « fédérale démocratique » dans les zones contrôlées et qui comprennent notamment les trois cantons kurdes d'Afrine, de Kobané et de la Djézireh. Au nord-est de la Syrie, Rojava - le nom kurde pour le Kurdistan occidental- qui est donc une région de facto autonome s’est construit. Selon plusieurs personnes, cette autonomisation est une révolution.

Dans ce contexte d’autonomisation, les femmes s’émancipent tant sur le plan militaire et socio-politique. Elles mènent leur combat sur la ligne de front contre l'ennemi Daech. Après la chute locale du régime Assad en 2012, les Kurdes ont mis en œuvre un projet de démocratie directe et d'égalité sans distinction de race, de religion ou d'identité sexuelle au Rojava.

Auparavant, le mariage d'enfants et l'enfermement des femmes à la maison étaient pratique courante. Désormais, ces traditions ont été renversées : le mariage d'enfants, par exemple, a été interdit dans la région. Il existe des organisations féministes parallèles dans tous les domaines, allant des milices féminines - YPJ (Unités de protection de la femme) -, en passant par les communes et coopératives féministes.

L’un des principes sur lequel la révolution de Rojava s’appuie est la légitime défense. Le concept de défense s'étend au droit de légitime défense contre toutes les pratiques et idées misogynes, y compris celles de Daech et notamment de la société traditionnelle genrée. Dans le but d’assurer l’égalité femme-homme, Rojava vise à détruire la domination masculine en s’émancipant de la tradition misogyne et en gommant la hiérarchie dans tous les aspects de la vie. Par conséquent, on y mène des politiques visant à promouvoir l’égalité entre toutes personnes dans le but d'atteindre une société écologiquement et socialement harmonieuse et durable.

À ce titre, le village Jinwar, en kurde, signifie « endroit des femmes », est en train de se bâtir depuis 2017 dans le canton de Djézireh. Pour lancer l’idée de ce village, les organisations féministes du Rojava se sont inspirées des livres sur l’histoire des débuts de l’humanité, sur l’époque néolithique et sur le temps où les sociétés fonctionnaient selon le principe de l’autogestion, avec des valeurs et des principes de la vie communautaire. Le projet vise à construire une société à petite échelle, libre et gérée par des femmes. Celles et ceux qui participent au projet partent de l’idée que le village sera économiquement autosuffisant grâce à ses activités agricoles et au travail manuel.

Ce village qui est ouvert à toutes femmes prévoit l’édification d’environ 30 habitations. En plus de ces habitations, il y aura un hangar pour le stockage des produits alimentaires, qui seront distribués à chaque famille en fonction de ses besoins. Il y aura également d’autres bâtiments tels que l’école, une académie des sciences féminines, un dispensaire spécialisé dans les médecines alternatives, l’administration et un musée.

Une des coordinatrices du village, Nujin, explique ainsi la motivation à l’essor de la construction de Jinwar : « Les femmes en tireront le savoir-faire et les leçons pour mener une vie simple, loin de la vie en ville, du béton, de la convoitise des hommes, des entreprises capitalistes qui ont détruit l’être humain et qui l’ont transformé en rouage d’une grande machinerie qui tourne jour et nuit pour alimenter les profits. […] Nous vivrons loin de la violence et de la fureur du capitalisme ».

Concernant le rapport du village aux hommes, une autre coordinatrice  explique que « […] Pas de place pour les hommes dans le village. Quant à celles qui viennent avec des enfants, nous sommes confiantes que, s'il s’agit des garçons, ils comprendront les règles en grandissant. Ils auront le droit de se marier et de continuer à vivre dans le village. Nous commençons par la femme parce qu’elle est la base, mais cela ne veut pas dire qu’on efface l’homme. L’homme qui vivra ici à l’avenir devra se montrer compréhensif pour l’esprit nouveau que nous construisons, loin du pouvoir masculin et de la mentalité machiste qui marginalise la femme et n’y voit qu’une marchandise ou un corps dont il peut disposer pour son plaisir. »

Le slogan du mouvement des femmes kurdes  « Jin, Jiyan, Azadî », qui signifie « femme, vie, liberté », semblent d’être en cours d’achèvement contre les normes sociopolitiques au nord de la Syrie.